Collaboratoires pour rapprocher la science des politiques publiques urbaine

Publié par le Canadian Science Policy Centre | Éditoriaux de la conférence 2021 | Novembre 2021

Auteurs : Yan Kestens, Marie-Christine Therrien, Joris Arnaud, Zoé Poirier Stephens

Les villes sont à l'avant plan des grandes dynamiques sociétales et environnementales d’aujourd’hui. Elles sont à la fois les lieux où se jouent les enjeux globaux, comme les changements climatiques et crises sanitaires; et des actrices dans la mise en place de solutions à ces enjeux. Théâtres de dynamiques sociales et de conflits, les villes et leurs habitants ont un rôle clé à jouer. Les villes sont en mutation permanente, ce qui font d’elles un espace idéal pour déclencher des transformations profondes soutenue par des perspectives diverses, l’expertise et l'innovation urbaine.

Par définition, les solutions aux problèmes pernicieux ne sont pas simples. Dans cette perspective, il y a une reconnaissance croissante que la mise en place de solutions pour des villes durables et résilientes exige une approche « systèmes complexes », c'est-à-dire des solutions qui prennent en compte les nombreuses interactions et boucles de rétroaction qu'une ville englobe. Cela nécessite une réflexion transdisciplinaire, de la diversité, de l'inclusion et une action multisectorielle. Cela demande aussi une rupture avec le monde qui a traditionnellement privilégié les privilégiés, menant aux inégalités et disparités que nous connaissons et vivons aujourd’hui.  

Bien que la science ait contribué à documenter et comprendre les défis majeurs auxquels nous sommes confrontés, comme l'illustrent le travail collaboratif sur les changements climatiques ou la mobilisation pour combattre la pandémie de la COVID-19, nous sommes loin d'une situation qui optimise la synergie possible entre science et action. Propulsée par la participation communautaire, notre priorité principale devrait être la résolution des problèmes pernicieux auxquels fait face notre société, tels que les changements climatiques, les inégalités et le besoin pour de nouvelles logiques de production/consommation qui soutiennent ces objectifs.

Pourquoi la science et le milieu municipal ont-ils tant de difficultés à s’arrimer? Une des raisons peut être la différence entre les logiques de production scientifique d'une part, principalement portées par les structures académiques internes qui régissent l'accès au financement de la recherche et la promotion des carrières, et les besoins auxquels est confrontée notre société, d'autre part.

La production évaluée par les pairs croît de façon exponentielle, chaque article ne contribuant que marginalement à la production de connaissances et rendant difficile l'utilisation des résultats pour des applications ou interventions pratiques. La plupart des revues systématiques déplorent le manque de recherche longitudinale et interventionnelle, observant que la plupart des données probantes produites sont de nature transversale, révélant peu sur les processus causaux et n’offrant pas assez d’indications pour une action concrète et un ajustement des politiques publiques.

En parallèle, la prise de décision dans les villes et la planification des systèmes urbains sont confrontées à leurs propres limites inhérentes, du manque de financement aux luttes de gouvernance locale. Dans ces domaines, il nous manque des données probantes solides sur ce qui fonctionne sur le terrain. Les communautés qui habitent les villes sont souvent exclues du processus décisionnel. Fondamentalement, les processus de planification stratégique et de mise en place d’interventions urbaines ne reposent que partiellement sur la participation communautaire et les données probantes et adoptent rarement des processus validés, ce qui limite notre capacité à nous attaquer aux problèmes pernicieux.

En d'autres termes, pour améliorer le lien entre la science et la politique urbaine, des changements sont nécessaires dans la façon dont la science est produite, les politiques publiques urbaines sont élaborées et la façon dont elles interagissent toutes les deux.

Pour ce faire, nous devons renforcer la formation interdisciplinaire, intégrer l'expertise scientifique dans la gouvernance et l'action municipales, former les universitaires aux cycles et réalités politiques et faire équipe avec les utilisateurs de connaissance. Bien que tout cela puisse contribuer à renforcer les liens, nous pensons que des structures frontières sont nécessaires pour ouvrir la voie à de meilleures collaborations pour répondre aux défis urbains avec une approche science au service des politiques publiques. Un exemple d'une structure frontière sont les collaboratoires. Ces milieux aident les universitaires à co-construire et à co-mener des projets de recherche avec des partenaires municipaux, assurant la pertinence, à la fois pour les institutions et les communautés. Un tel effort a été récemment lancé au Québec, Canada, où le Scientifique en chef a lancé le Collaboratoire Uni-Cité, qui réunit deux laboratoires possédant une expertise en gouvernance municipale et en santé urbaine, avec pour mission d'aider à faire le pont entre la science et les politiques publiques urbaines. Pour y parvenir, Uni-Cité (https://www.uni-cite.ca/) crée des guides, des outils et des méthodes pour favoriser le rapprochement des communautés scientifiques et municipales. De plus, il soutient et collabore directement avec des projets de recherche et d'intervention impliquant à la fois des municipalités et des chercheurs. En guidant, en observant et en apprenant du processus, Uni-Cité identifie ce qui fonctionne dans des conditions réelles lors de la mise en œuvre de transformations urbaines.

La force des chercheurs réside principalement dans leur maîtrise des concepts, théories et méthodes permettant de saisir la complexité, de donner du sens à notre monde, d'imaginer et de concevoir de nouvelles voies. Les débats scientifiques sont rarement simples et directs : reconnaître les conséquences imprévues et mettre en perspective des points de vue opposés et évolutifs sont également au cœur de l'approche scientifique. Pendant ce temps, les villes en tant que lieux d'action et de transformation doivent vivre et agir face à cette complexité directement. Le rapprochement de ces deux réalités via un renforcement des liens entre science et politiques publiques urbaines permettra de mieux réfléchir et révéler un monde de possibilités.

L’article a été publié en anglais par CSPC. Voir la publication originale

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Mobiliser la science dans la prise de décisions municipales : défis, maillages et opportunités